Mélopée éphémère

Invité

Une note, légère, seule... un douce mélodie, enchevêtrement sans début et sans fin, sans logique, qui la rejoint, l'entoure, la rassure et la réchauffe... Les cordes de la harpe vibraient sous les doigts fins d'Opale, qui, les yeux fermés, savourait le son qui montait et le caressait. Il avait bien fait de venir ici, même si transporter l'imposant instrument n'avait pas été simple. La résonnance était presque parfaite. Ses cheveux voletaient tandis qu'il bougeait la tête au rythme de la musique, ses doigts pinçant et caressant alternativement les cordes avec une délicatesse insoupçonnable.
Une note, triste, vibrante... Une mélodie qui se dissout dans les airs, éphémère... ramenée sur terre par un passage en pianissimo, qui évoluait vers le fortissimo. Musique aérienne, céleste, qui peu à peu revenait à la terre puis disparaissait à nouveau dans un envol mélancolique. Son céleste de la harpe, qui devient larmes, puis rires, colère, et laisse, en quelques notes, la douce chaleur d'un sourire mêlé de larmes et de tendresse. Résignation, compassion, colère, impuissance... Les notes gagnaient en intensité, devenaient d'un coup si douces que l'oreille ne les percevaient qu'à peine, puis revenaient, allègrement. Fraîches et rassurantes comme un souffle de vent, aussi vicié soit-il, qu'un rayon de soleil qui parvient à passer la couche grisâtre qui recouvre le Dôme, à la fois timide et invincible...

Achevant son improvisation, Opale rouvrit lentement les yeux, émergeant peu à peu du monde sans couleurs dans lequel il s'était plongé. Son corps lui revenait à l'esprit, les sensations et sentiments se calaient, signe qu'il reprenait une part de sa maîtrise. Son visage se referma, seul un léger sourire en coin parvenant à subsister. Il s'amusait, jouait avec sa harpe comme avec son cimeterre lors de ses entraînements solitaires.
S'éloignant de la harpe, il s'étira paresseusement, roulant légèrement les épaules pour les détendre, secouant ses mains et ses doigts en tout sens pour les détendre. Ce morceau l'avait calmé, il pouvait réfléchir mainenant, et tenter de comprendre comment, pourquoi, il avait laissé s'échapper ce gosse. Un adolescent de seize ans à peine, déja à la solde des mafieux, déja avec du sang sur les mains - Opale avait découvert qu'il avait déja mené deux interrogatoires sanglants pour arracher des promesses et engagements. et il l'avait laissé partir. Parce qu'il n'était pas encore remis des dix jugements de la semaine précédente ? Il se remettait vite, et savait que sa sentence était juste. Parce que ce gosse avait un regard trop ouvert, trop candide malgré tout ? Opale n'était pas du genre à se laisser attendrir. Alors ?
Il se doutait de la réponse, et une part de lui refusait de l'admettre. Ses yeux, les yeux de ce gosse, par top semblables aux siens. la même forme si particulière, les mêmes orbes d'un bleu pâle et lumineux. Les mêmes opales, et presque la même sensation de limpidité. Effrayant... Ce gamin était-il un lien vers ses parents ? Peut-être, mais pourquoi s'en souciait-il ? Ils l'avaient abandonné, et la Justice passait avant tout. Ce n'était pas pour rien qu'il s'était baptisé "Glaive de Justice", il n'avait pas à hésiter. Mais, en même temps, s'il n'avait pas d'hésitation, serait-il digne de ce surnom ?

Secouant la tête légèrement, et la basculant en arrière, dévoilant une gorge longue et tendre, Opale fixa un instant le Dôme puis se redressa, reposant ses doigts sur les cordes et les faisant vibrer. Dans un souffle, dans un sourire, il se rappela sa devise, celle que lui avait transmis le Frère.

_ Agis toujours de telle sorte que la maxme de ta volonté puisse valoir en même temps comme principe d'une législation universelle. C'est vrai, c'est tout ce que j'ai à faire...