Face à face. [Miko]

Il faisait presque nuit et Miko se trouvait dans un quartier qu'elle n'aimait pas trop. On disait que de nombreuses personnes y disparaissaient la nuit, qu'on y retrouvait des corps atrocement mutilés. Cette seule pensée fit frémir la jeune femme et elle leva les yeux vers le dôme. La lumière baissait de plus en plus, il fallait qu'elle rejoigne vite un endroit plus sûr... Quelque peu inquiète par le temps de marche qu'il lui restait à parcourir, elle regarda autour d'elle. La meilleure solution serait encore de se rendre à la station de métro la plus proche. Où y en avait-il une déjà ? Elle réfléchit un instant et se souvint qu'elle devait être à une bonne demi-heure de marche. Une demi-heure ? Il ferait nuit ! Non, Miko ne voulait pas se retrouver seule ici dans ces ruelles sombres... Elle mit les mains dans ses poches et se mordilla légèrement la lèvre, petit tic qu'elle avait quand elle était stressée.
Elle se souvint alors qu'il y avait le lac articificiel de Tokyo II à trois cents mètres d'ici, derrière les immeubles du bout de la rue. Bien que les rares gens qui s'y rendaient avaient pour but principal de mettre fin à leurs jours dans le lac, Miko estima que passer par ici était préférable à rester dans ces ruelles. Oui, ce serait mieux et en plus, elle allait diviser le temps de trajet par deux si elle se souvenait bien ! Elle s'était arrêtée durant tout le temps de sa réflexion, sans s'en rendre compte. C'est alors qu'un bruit de pas la fit sursauter, elle regarda par dessus son épaule et, comme la ruelle sombre ne laissait présager rien de bon, elle se remit en marche, accélérant le pas. Il lui semblait que les bruits de pas se rapprochaient, s'accéléraient et elle même avança de plus en plus rapidement, sentant la panique monter. Une fois au lac, ça irait mieux, se persuada-t-elle. Malgré tout, elle n'était pas très rassurée, elle devait l'avouer. C'est alors qu'un léger rire d'enfant se fit entendre. Miko se retourna instinctivement et découvrit alors son poursuiveur. C'était un petit garçon d'environ cinq ou six ans : il s'esclaffait en la montrant du doigt tandis que quatre autres enfants sortaient de derrière les poubelles, tous riant du comportement de la jeune femme. Passablement agacée, celle-ci poussa un soupir de dédain et leur tourna le dos, reprenant sa marche.

Elle arriva alors au lac artificiel, l'ambiance y était vraiment pesante et une odeur nauséabonde y régnait. Miko fit une légère grimace : vivement qu'elle traverse ce qu'on pourrait qualifier de terrain désafecté qui entourait le lac. Alors qu'elle marchait, la pénombre envahissant l'endroit, déformant les ombres au point de faire frémir le plus courageux des enfants, un nouveau bruit la fit sursauter. Encore ces enfants ! Elle en était sure ! Elle se retourna, les sourcils froncés et commença sa phrase :

Bon, vous allez vous...

Elle s'arrêta tout net, personne ne la suivait ou n'avait fait ce bruit pour l'effrayer. En balayant du regard les alentours, Miko aperçut deux silhouettes dont une à terre. Celle qui se tenait debout était visiblement une femme qui alla d'ailleurs se mettre à califourchon sur l'ombre masculine à terre. Miko détourna les yeux, sûrement une prostituée et son client. Décidément, cette ville était glauque ! Elle avait à peine fait deux pas qu'un cri de douleur s'éleva. Alertée, Miko se retourna pour fixer à nouveau le couple. C'est alors qu'elle assista à un spectacle qui l'effraya au plus haut point : la femme plaquait fermement l'homme contre le sol et semblait se délecter de... le coeur de Miko cessa de battre une seconde... de son sang ! Il fallait qu'elle parte, au plus vite, qui sait s'il n'allait pas lui arriver un malheur à rester ici en témoin parfait de la scène. Mais, malgré tous les ordres que dictaient son cerveau à son corps, la jeune femme était incapable de bouger un cheveu. Elle était figée comme une bête face à son prédateur. Ses muscles tressaillaient légèrement et elle entendait les battements de son coeur plus que jamais. Elle transpirait abondamment mais ceci la glaçait, le regard figé sur la scène qui s'offrait à elle, elle la fixait sans la voir. Soudain, à la place de l'odeur âcre émanant du lac, une odeur de feu, d'humidité et de vieilles pierres se fit sentir. Cette odeur lui glaça le sang et alors que la femme s'apercevait de la présence de Miko, celle-ci voyait un corps d'enfant lacéré de toute part, du sang coulant abondamment tandis que... qu'une personne se repaissait de tout ce liquide rouge vif et chaud. Ceci ne dura qu'une seconde à peine dans la tête de Miko, incapable de comprendre ce que voulait dire ceci, ni de reconnaître quiconque parmi les personnes qui défilèrent dans son esprit. Alors que la vampire avançait face à elle, un cri de terreur retentit dans la tête de la jeune femme :

* MAMAN ! *

Instinctivement (Miko était incapable alors de commander quoi que ce soit dans son corps, coupée de la réalité) l'amnésique poussa un cri, les larmes commençant à perler sur son visage :

Non ! Laisse-le !

Un rire résonna alors, démoniaque, à vous glacer le sang puis se fut le noir, comme si son esprit ne voulait pas qu'elle en voit plus, lui claquant la porte au seuil de sa mémoire. Le dur retour à la réalité lui causa des vertiges qui la firent trébucher sur le sol et, alors qu'elle tombait aux pieds de la femme vêtue de noir, elle se dit que s'en serait fini d'elle. A quoi bon lutter pour rester consciente ? songea-t-elle alors que les bruits résonnaient en écho dans sa tête, son cerveau semblant fonctionner au ralenti, et les silhouettes devenant des ombres indistinctes. Les yeux de Miko se fermèrent peu à peu : si cette femme voulait boire son sang, mieux valait qu'elle demeure inconsciente, elle souffrirait moins. Et de toute façon, elle était bien incapable de se réveiller...

Elle était, à présent, suffisamment proche que pour distinguer son assaillante. C’était une femme, plutôt mignonne, elle devait avoir dans la vingtaine, tout au plus. Seraïa sourit, comme pour la rassurer mais sa réaction, lorsqu’elle s’arrêta, fut des plus inattendue. Elle poussa un cri à fendre l’âme alors que des larmes perlaient sur ses joues. La jeune femme écarquilla les yeux, elle ne s’attendait pas du tout à faire une telle impression dès l’entrée de jeu ! Elle se recula d’un pas, peut-être dans l’espoir de calmer cette autre demoiselle qui semblait si paniquée. Dans un sens, si elle avait assisté à la scène qui s’était déroulé quelques instants plutôt, elle la comprenait parfaitement… Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas que les cris s’étaient arrêtés aussi rapidement qu’ils avaient commencé. Elle secoua la tête pour revenir à la réalité puis porta son attention sur la jeune asiatique, elle semblait prise de vertiges. Elle avança une main vers elle pour la maintenir droite mais réagit trop tard, la jolie demoiselle trébuchait déjà avant de tomber à ses pieds. Elle se pencha pour voir si elle n’avait rien de grave, c’était un comble après ce qu’elle venait de faire à ce pauvre homme… La demoiselle ferma peu à peu ses yeux, malgré les appels de Seraïa qui tentait de la garder éveillée.

C’est alors qu’elle se rendit compte de la situation. Du sang tâchait ses vêtements ainsi que ses lèvres, elle se retrouvait au lac artificiel avec une femme inconsciente sur les bras et, en prime, un homme marié, mort au bord de ce même lac… Une question se posait à présent, que devait-elle faire de ces deux corps ? Elle pouvait toujours laisser le cadavre là où il était, pourquoi s’en encombrer ? A la limite, elle pouvait toujours le jeter à l’eau. Oui, jamais personne ne s’en approchait, un écriteau l’interdisant. Elle se releva et s’approcha du garçon, autant s’occuper de lui en premier lieu. A l’aide de son pied, elle le fit rouler au sol jusqu’à atteindre le bord du lac. Elle jeta un dernier regard sur son doux visage avant de le pousser une dernière fois du pied. Le corps tomba à l’eau et coula aussi rapidement que s’il avait été fait de pierre. Elle se tourna alors vers la jeune femme toujours allongée sur le sol. Elle ne pouvait pas la laisser là, elle n’en avait pas le courage… Tenter de la réveiller était peut-être la meilleure des solutions. Et ci elle n’y arrivait pas, qu’allait-elle devoir faire ? Elle fit quelques pas dans sa direction avant de s’arrêter de nouveau face à elle. Elle se pencha de nouveau sur son corps, elle semblait toujours en vie. C’était déjà une chose qui la rassurait, un meurtre par jour lui suffisait et elle n’avait pas besoin d’avoir, en plus, un cadavre de femme sur la conscience.

" Hey… Réveille toi… Je ne voulais pas te faire peur… "

Elle leva la main et la posa tendrement sur les cheveux de l’asiatique, peut-être ce geste allait-il la réveiller ? Visiblement, non… Elle fit alors courir ses doigts sur son visage pour atteindre sa joue, elle tapota doucement dessus pour lui faire reprendre connaissance. Après quelques petites tapes, elle ne réagissait toujours pas. Elle secoua alors la tête en soupirant, ses doigts glissèrent d’eux-mêmes sur sa peau, passant de sa joue à son épaule pour ensuite atteindre son bras. Elle prit délicatement sa main dans la sienne puis la serra avec douceur, elle devait avoir l’aire fine à tenter de réveiller cette belle endormie… Cette troisième tentative ne sembla néanmoins pas fonctionner et Seraïa dut se rendre à l’évidence, les techniques douces ne marcheraient pas avec cette charmante demoiselle. Avec quelques regrets, elle lâcha doucement sa main pour pouvoir lever la sienne puis l'abattre assez violemment sur sa joue. Vu le manque de douceur, la jeune femme ne pouvait que se réveiller, du moins, elle l'espérait.

Un grand noir, ce fut ce que Miko ressentait. Encore que ressentir ne pourrait être un verbe approprié étant donné qu'elle était plongée comme dans un sommeil sans rêves... Peut-être était-elle morte à présent ? La femme étrange avait-elle fait de même avec elle ? Avait-elle bu son sang ? Qui sait... Après tout, Miko s'avérait totalement incapable de réfléchir, son cerveau ne répondant pas. Tout se passait comme si elle était momentanément coupée du monde, elle devait se réveiller pourtant, elle était en danger non ? Pourtant, l'autre partie de son esprit et surtout son corps la persuadaient du contraire... Rester endormie, c'était la meilleure chose. A mesure qu'elle se disait cela, elle s'enfonçait de plus en plus dans l'obscurité, son corps semblant pesant, ses pensées, plus lentes.

Soudain, quelque chose la ramena vivement à elle. Elle respira brusquement, se redressant d'un coup, comme si elle se réveillait d'un cauchemar. Elle avait l'impression d'étouffer et tremblait de tout son corps, encore à moitié prise dans sa phobie du sang. C'est alors qu'elle ouvrit les yeux, la pénombre autour du lac n'étant rien comparée à celle dans laquelle elle était plongée à l'instant, elle distingua parfaitement la femme aux cheveux blancs qui était face à elle. Et surtout, elle fixa ses yeux et secoua vivement la tête. Pourquoi lui avoir fait ça ? Que cherchait-elle ? Voulait-elle s'amuser un peu avec une proie ? Une proie qui ne serait personne d'autre que Miko, une Miko désemparée, tremblante. Elle sentait ses muscles tressaillirent sans qu'elle puisse les contrôler mais le reste de son corps était figé face aux yeux de la buveuse de sang. Un mouvement, même infime de la part de celle-ci entraîna une sorte de réaction en chaîne de la part de Miko. Elle poussa un cri incontrôlé tout en avançant une main pour la mettre entre la fille et son visage. En même temps, elle poussa sur ses pieds et recula de près d'un mètre d'un seul coup. Les yeux fermés et les traits figés, Miko s'attendait au pire. Mais il ne se passa rien, du moins, rien de violent ou pire, de sanglant ! Elle ouvrit doucement un oeil, descendit petit à petit sa main. Voyant que la femme face à elle ne manifestait aucun signe d'agressivité, elle posa sa main au sol. Lui faisait-elle confiance ? Non pas vraiment... Peut-être que la blonde adoptait cette stratégie, la mettre en confiance pour mieux la tuer ? Après tout l'homme plus tôt avait l'air plutôt content d'être en sa compagnie non ? Miko observait les yeux de la femme, à la recherche de n'importe quel signe qui l'alerterait. Reprenant son souffle qui avait été sacadé par la peur qu'elle avait eu et attendant que son corps cesse peu à peu de trembler, l'amnésique soutenait le regard de la vampire, comme si elle voulait lui montrer qu'elle n'avait pas peur d'elle, qu'elle saurait se défendre en cas de besoin. Une fois qu'elle put parler sans que sa voix en tremble, elle parvint à articuler quelques mots :

"Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous m'avez fait ?"

Qu'est-ce qui avait déclenché une telle réaction chez elle ? Pourquoi avait-elle eu une telle peur face à une scène qu'elle avait à peine vu ? Et surtout, surtout :

"Que comptez-vous me faire, à présent ?"

Elle avait bien dû la réveiller pour une raison ou une autre non ? Sinon, elle l'aurait laissé pourir là et, avec un peu de chance, Miko aurait toujours été en vie le lendemain... Quel était donc le but de cette femme ?

Miko observait avec inquiétude l'inconnue qui venait de commettre un meurtre sous ses yeux tout de même ! Après tout, elle venait de tuer froidement un homme, alors, qu'est-ce qui l'empêcherait de se débarrasser d'elle ? Elle était un témoin gênant tout de même ! Et puis, Miko se sentait bien trop faible pour pouvoir se défendre, surtout si cette femme étrange était capable de maîtriser un homme adulte aussi facilement. Finalement, la femme aux cheveux blancs répondit avec ironie aux questions de Miko. En fait, plus qu'ironique, cette meurtrière semblait plutôt agacée par le fait que Miko se soit évanouie.
La jeune femme resta assise, la dévisageant d'un air qui voulait dire "Ah oui m'aider à me lever ? Montre-moi ce que tu sais faire alors". Son style était plutôt étrange pour tout dire. Cet adjectif est certes réducteur bien souvent, mais la voleuse n'en trouvait pas d'autre pour rendre compte de l'impression que dégageait sur elle cette tueuse. Elle portait une longue robe noire qui aurait pu faire penser qu'elle était en deuil, avec des cuissardes de la même couleur que Miko voyait parfaitement bien vu que ses yeux se trouvaient nez à nez avec ces bottes dotées de multiples attaches. Si le mouvement existait toujours, on aurait pu dire que cette femme était gothique. Miko leva les yeux vers ceux de la femme. Elle était très maquillée, trop au goût de la jeune femme (qui n'avait d'ailleurs pas les moyens de s'offrir du maquillage... Son interlocutrice devait donc être riche. Intéressant ça... et oui, Miko ne perdait pas de vue sa préoccupation première : dépouiller les plus riches de leur plus beaux bibelots !). En plus, pourquoi voulait-elle se donner absolument ce genre mort vivant en palissant autant son teint ? Et puis, ce rouge à lèvres si sombre ! Ça faisait presque vulgaire aux yeux de Miko. Elle espérait qu'elle avait de meilleurs goûts en matière de décoration sinon que pourrait-elle lui voler ? Oui, Miko détestait les objets trop voyants ou kitsch ! Pour qu'elle vole quelque chose, il faut avant tout que ça lui plaise, sinon, si elle n'arrivait pas à le revendre (ce qui est très probable si c'est laid !) elle refuserait de le garder ! En gros, que de la perte de temps ! Mais, passons sur les habitudes de Miko et revenons en à ce qui nous intéresse...

Après un temps à la dévisager un peu froidement, Miko leva légèrement un sourcil avant de lever les yeux au ciel en soupirant et dit d'un ton désinvolte :

Je vous ai pas obligé à rester ! Enfin soit, si ça peut vous plaire je me lève !

Elle prit appui sur ses mains afin de se relever, titubant légèrement, prise un peu de vertiges. Après tout, elle avait perdu connaissance et avait dû se lever vraisemblablement trop rapidement... Miko ferma un peu les yeux et massa doucement son front avec sa main droite, sentant sa vue s'assombrir peu à peu. Elle secoua légèrement la tête, elle n'allait quand même pas s'évanouir à nouveau quand même ! Ceci dura quelques secondes à peine et la jeune femme réussit à rester sur ses jambes (bonne nouvelle !). Elle regarda alors l'inconnue et demanda :

Bah, qu'est-ce que vous faites encore là ? Vous étiez pas pressée ?

Elle était un peu agressive mais après tout, elle n'allait pas faire ami-ami avec une femme qui venait de tuer quelqu'un devant elle, non ? Soudain, elle se rendit compte que l'irriter n'était peut-être pas une bonne chose, qui sait ce qui se passerait si elle l'énervait ? Elle décida alors d'afficher un léger sourire et dit :

Au fait, je m'appelle Miko...

Ce changement radical d'attitude allait sûrement surprendre la femme bizarre mais c'était tout Miko ça, inconstante comme le vent !


[désolée pour le temps que j'ai mis à répondre :s]